J’étais ce matin à Trappes pour commémorer l’armistice du 11 novembre 1918.
Merci au maire, Ali Rabeh, et aux associations d’anciens combattants pour l’organisation de cet événement.
Vous trouverez ci-dessous le discours que j’ai prononcé.
Voilà plus d’un siècle, à la onzième heure du onzième jour du onzième mois de l’année 1918, l’armistice entrait en vigueur et mettait fin à quatre années de barbarie.
14-18, la Première Guerre mondiale, la “Grande guerre” comme disaient les élites, la “der des ders” comme l’espérait le peuple.
À travers le monde, dix millions d’hommes en sont morts. Pour la France, un million quatre cent mille vies ont été fauchées dans la fleur de l’âge. Toujours pour la France, un million trois cent mille jeunes gens, invalides et “gueules cassées”, ont traîné toute leur vie les séquelles de la guerre.
Le jour le plus sanglant du conflit a été le 1er juillet 1916, début de l’offensive de la Somme. En quelques heures seulement, cent mille hommes ont eu le corps déchiré par les balles et les obus, quarante mille en mourront.
Parmi les hommes engagés dans ces 4 années d’enfer, plus de cinq cent mille soldats africains originaires des colonies françaises. Rappelons-nous le 16 avril 1917, les tirailleurs sénégalais partent, en première ligne, à l’assaut des crêtes du Chemin des Dames. C’est l’hécatombe. En dix jours, la moitié des quinze mille hommes engagés sont décimés.
À la souffrance des soldats il faut ajouter celle des civils, mobilisés pour l’effort de guerre. Ces hommes, et surtout ces femmes, ont connu l’angoisse et la douleur de l’attente. Ils ont parfois perdu un mari, un père, un fils. La guerre a fait six cent mille veuves et un million d’orphelins.
N’oublions pas, non plus, de nous souvenir de ceux qui ont désobéi, mutins ou déserteurs. À l’absurdité de la guerre, ils ont répondu par un acte de désespoir. Au désespoir, les tribunaux militaires ont répondu par le peloton d’exécution. Près de mille hommes en sont morts.
Aujourd’hui, c’est à l’ensemble de ces femmes et de ces hommes, générations foudroyées, que nous rendons hommage.
Je sais qu’évoquer ce bilan macabre provoque l’effroi chez chacune et chacun d’entre nous. C’est la preuve de notre humanité commune. Par-delà le temps, les origines, les cultures, les nationalités, le martyr des “poilus” est une souffrance universelle.
Cette souffrance, cent quatre ans après la signature de l’armistice, il nous faut encore et toujours la regarder en face. Car de l’horreur a émergé un message d’espoir, un optimisme, une conviction que l’Homme est maître de son destin et qu’il peut s’affranchir de la barbarie. Un humanisme en somme. Ce message se résume par un slogan des anciens combattants de 14-18 : « Plus jamais la guerre, plus jamais ça ! ».
Il est vrai que cet espoir a été déçu. Après la guerre de 14-18, il y a eu sa répétition, plus meurtrière encore, de 39-45. Et aujourd’hui, la guerre gronde en Ukraine aux portes de l’Europe. Mais un espoir n’est jamais vaincu tant qu’une seule personne entretient sa flamme.
Alors prenons notre part en ce 11 novembre 2022 et répétons : “Plus jamais la guerre, plus jamais ça !”
Bien entendu, nous ne pouvons nous contenter du slogan. Exiger la paix suppose de tirer les leçons de l’histoire.
Apprenons d’abord que la guerre n’est jamais une fatalité. À la veille du premier conflit mondial, des forces pacifistes, des deux côtés du Rhin, s’employaient encore à l’éviter. Jean Jaurès en était une figure emblématique et pour cela il fut assassiné le 31 juillet 1914 par un militant d’extrême droite. Mais le pacifisme a survécu à Jaurès et il est d’une actualité brûlante. Partout dans le monde, là où la guerre menace et là où elle se déploie, là où le choc des empires semble inéluctable, là où les égos des tyrans mènent à la catastrophe, des femmes et des hommes travaillent pour la paix. Ils ne sont parfois qu’une poignée, parfois plus, toujours ils risquent leur vie. Soutenir ces militants, leur apporter notre solidarité, c’est leur donner les moyens, peut-être, d’empêcher ou de conclure une guerre.
Apprenons ensuite que la guerre n’est pas produite ex nihilo. Elle est le fruit d’une frénésie nationaliste entretenu par des dirigeants irresponsables. Mais ce que Jaurès nous apprend encore, c’est qu’incriminer le nationalisme ne suffit pas. Encore faut-il comprendre le terreau dont il se nourrit. Ce capitalisme qui, disait-il, « porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage ».
Le demi-siècle qui précèdent 1914 est marqué par un capitalisme débridé. L’accumulation sans bornes des profits entre les mains de quelques-uns se fait au prix de crises toujours plus intenses, et de l’exploitation de cohortes de miséreux. Les nations se livrent une concurrence toujours plus féroce pour l’accès aux marchés et aux matières premières. C’est cette guerre économique sans pitié qui donne naissance au cauchemar de 14-18.
Aujourd’hui, la guerre économique est revenue dans le monde. Il nous faut trouver les moyens de la juguler avant qu’elle nous dévore. Il nous faut trouver un chemin d’espoir à travers les crises sociales, écologiques et démocratiques qui font trembler nos sociétés. Il n’y a que par un déversement de fraternité que nous pourrons, peut-être, éteindre la braise qui alimente le feu de la guerre hommes.
Pour conclure mon propos je laisserai parler encore une fois le grand Jaurès : « Il n’y a qu’un moyen d’abolir la guerre entre les peuples. C’est abolir la guerre économique, le désordre de la société présente. C’est de substituer à la lutte universelle pour la vie, qui aboutit à la lutte universelle sur les champs de bataille, un régime de concorde sociale et d’unité.”
Vive la République,
Vive la France,
Vive la Paix !